Condamnation du CRE RATP pour harcèlement moral d’un Directeur de la culture et des loisirs et pour licenciement nul (CPH Bobigny 26 août 2016, Enc.- Départage)

Maître Frédéric CHHUM est l’avocat du salarié, directeur de la culture et des loisirs du COMITE REGIE D’ENTREPRISE RATP, statut cadre.

1) Faits et circonstances de la rupture

Monsieur X a été embauché à compter du 1er novembre 1993, sous contrat à durée indéterminée, en qualité de directeur de maison de vacances, statut cadre.

Le 1er janvier 2006, il a été nommé responsable d’équipement à la direction culturelle du CRE-RATP.

Le 1er février 2012, il a été nommé directeur de la culture et des loisirs.

Le 26 novembre 2013, Monsieur X a saisi le Conseil de prud’hommes d’une demande d’annulation une sanction disciplinaire (un blâme en date du 18 octobre 2013) et d’une demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Le 21 février 2014, Monsieur X a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement pour le 4 mars 2014, avec mise à pied conservatoire.

Suite à l’entretien préalable en date du 4 mars 2014, Monsieur X a été convoqué devant une commission paritaire disciplinaire devant statuer sur son éventuel licenciement.

Par une lettre en date du 3 avril 2014, Monsieur X s’est vu  notifier son licenciement pour faute grave, alors que son salaire moyen s’élevait à 5.384 euros.

2) Jugement du Conseil de prud’hommes de Bobigny du 26 août 2016 (Encadrement - départage)

Le Conseil de Prud’hommes condamne le CRE RATP à verser au Directeur de la culture et des loisirs les sommes suivantes :

  • 100.000 euros à titre d’indemnité de licenciement nul ;
  • 7.167 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;
  • 716 euros au titre des congés payés afférents ;
  • 32.306 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
  • 3.230 euros au titre des congés payés afférents ;
  • 29.471 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
  • 30.000 euros au titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
  • 5.000 euros pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat ;
  • 1.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Au total, le salarié obtient 209.390 euros bruts.

Le CRE RATP doit aussi rembourser les allocations chômage dans la limite de 6 mois de salaire en application de l’article L. 1235-4 du code du travail.

2.1) L’annulation du blâme du 18 octobre 2013

En premier lieu, le Conseil de prud’hommes rappelle qu’ « il ressort du texte de l’article L 1332-2 du code du travail que le blâme est une sanction disciplinaire, qui doit faire l’objet d’une information écrite au salarié des griefs retenus contre lui, mais que s’agissant d’une sanction mineure n’appelant pas la mise en œuvre de la procédure disciplinaire, le blâme s’identifie à une sanction sans incidence sur la situation du salarié, et échappe par conséquent, au domaine de la procédure disciplinaire ».

Par ailleurs, le Conseil, saisi de la contestation sur le bien-fondé d’un avertissement ou d’une sanction, peut l’annuler s’il apparait injustifié ou disproportionné à la faute commise, comme en dispose l’article L 1333-1 du code du travail.

Le Conseil relève que : «  La lettre du 18 octobre 2013 fait état d’un communiqué qui a été lu et remis, lors de la réunion d’équipe de direction du 13 octobre 2013 à la direction des élus et à la direction générale et dont « certains des termes employés dans ce communiqué dépassent très largement le cadre de la liberté d’expression dont bénéficie tout salarié et procèdent à des accusations gratuites et de dénigrement à l’encontre de la direction générale et de la direction élue ».

«  La lettre indique que le communiqué fait état du dénigrement des directions et de passage en force, d’une situation dégradée actuelle eu égard à la gouvernance du CRE RATP ».

« Il est mentionné que  de tels propos constituent une atteinte grave à la gouvernance du CRE RATP caractérisant un manque de loyauté à l’égard de la direction, d’autant plus inacceptable qu’il émane d’un collège de directeurs et donc de cadres du plus haut niveau. (…)

La lettre fait état du caractère purement gratuit et diffamant de tels propos et de la remise en cause qu’ils caractérisent à la fois du Directeur Général et de son travail depuis son entrée en fonctions, alors que la mise en œuvre des nouveaux principes de gouvernance suppose a minima la solidarité de l’équipe de direction avec la direction générale ».

Le juge départiteur, en déduit que :

« Il résulte de ces éléments que Monsieur X. a fait l’objet d’une sanction alors qu’il dénonçait  des agissements qu’il imputait, aux côtés de trois de ses collègues, membres de l’équipe de direction, à la direction générale, usant, par-là, de sa liberté d’expression, et dénonçant une atteinte aux conditions de travail, sans mauvaise foi de sa part ou intention de nuire à quiconque » ;

« Loin de porter atteinte à son obligation de loyauté ou encore de dénigrer la direction, Monsieur X. a exposé les éléments qu’il considérait comme étant d’une gravité suffisante pour être dénoncés et appeler une recherche de solution» ;

« Au vu de ces éléments le blâme porte une atteinte grave à la liberté d’expression du salarié, en ce qu’il vise à faire empêcher toute dénonciation en lien avec le mode de gouvernance, sera annulé ».

Le Conseil annule le blâme au motif qu’il porte atteinte à la liberté d’expression du salarié qui a simplement dénoncé une atteinte à ses conditions de travail, sans mauvaise foi ni dénigrement de sa hiérarchie, et ce dans le but de rechercher une solution à cette situation.

2.2) Nullité du licenciement pour  fautes graves suite à des actes de harcèlement moral

Par jugement du 26 août 2016, le Conseil de prud’hommes a condamné le CRE RATP, pour harcèlement moral et prononcé la nullité du licenciement pour fautes graves.

En droit, le Conseil de prud’hommes rappelle qu’aux termes de l’article L 1235-3 du code du travail, tout employeur qui reproche au salarié, dans la lettre de licenciement d’avoir dénoncé des faits de harcèlement moral ou usé de sa liberté d’expression, sans abus ou mauvaise foi de sa part, porte atteinte à une liberté fondamentale, entraînant, à elle seule, la nullité du licenciement, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs invoqués par l’employeur pour vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le Conseil de prud’hommes de Bobigny relève que :

« La lettre de licenciement du 3 avril 2014 indique notamment et s’agissant de son 3ème grief, que Monsieur X a, lors de la réunion de la commission activités culturelles du 18 février 2014, où étaient présents des élus et des salariés DCL, tenu certaines affirmations qui ont dépassé très largement le cadre de la liberté d’expression dont bénéficie tout salarié et procèdent à des accusations gratuites et de dénigrement à l’encontre de la direction générale.

La lettre relève que Monsieur X a notamment fait publiquement état d’ingérence indiquant ne pas pouvoir travailler avec quelqu’un qui le harcèle et d’une « situation gravement dégradée notamment par la gestion par la direction générale de l’organisation de la journée de la femme ».

La lettre indique que de tels propos constituent une atteinte grave à l’obligation de loyauté renforcée attachée à la fonction d’un directeur, cadre du plus haut niveau.

La lettre indique notamment outre leur caractère gratuit et diffamant, les propos de Monsieur x constituent une remise en cause caractérisée à la fois de l’autorité du directeur général et de son travail.

La lettre rappelle que Monsieur X a déjà été sanctionné pour le même motif sur des accusations mensongères et de dénigrement en octobre par un blâme ».

Après examen de la lettre de licenciement, le Conseil énonce qu’  « il résulte des termes mêmes des reproches ainsi formulés à Monsieur X, qu’ils remettent en cause la liberté fondamentale de ce dernier quant à la dénonciation des faits de harcèlement moral dont il s’estimait victime, et pour lesquels il avait, notamment, saisi la présente juridiction, suite au blâme qui lui avait été infligé, en lien avec la dénonciation de ses conditions de travail, et, au surplus, annulé par la présente décision.

Loin de caractériser une mauvaise foi ou une volonté de nuire, les accusations en question concernant lesquelles l’action judiciaire était pendante, ont été formulées par Monsieur X de façon continue. ».

Le Conseil ajoute qu’ « au vu de ces éléments, l’employeur ayant porté atteinte à une liberté fondamentale dans le cadre de la mesure de licenciement qu’il a engagée à l’encontre de Monsieur X, et partant, qu’il n’y ait pas lieu d’examiner les autres griefs, le licenciement est nul ».

A cet égard, les juges considèrent qu’ « au vu des préjudices subis par Monsieur X. ensuite de cette mesure, tant sur le plan financier, que dans le cadre de la dégradation de son état de santé, dont il établit, il sera indemnisé à hauteur de la somme de 100.000 euros».

Le salarié obtient également son préavis et l’indemnité de licenciement.

2.3) Le CRE RATP condamné à 30.000 euros pour harcèlement moral

Le juge rappelle qu’aux textes de l’article L 1152-1 du Code du travail « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Par ailleurs, le juge ajoute qu’aux termes de l’article L 1154-1, c’est au salarié, dans un premier temps, d’établir les faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement. Dans un second temps, il appartient à l’employeur de prouver que ces éléments ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement.

Le Conseil de prud’hommes relève que :

« Monsieur X produit un certificat médical en provenance de son médecin traitant et en date du 23 mai 2014, qui indique qu’il lui a prescrit un traitement anti dépresseur en septembre 2013, suite à une dégradation de son état en lien avec ses difficultés professionnelles et qu’il est à ce jour encore sous traitement.

Il ressort du PV de réunion de l’équipe de direction du 1er octobre 2013, que 4 de ses membres, sur 5 personnes présentes, en dehors du directeur général mis en cause, ont dénoncé les méthodes de management en lien avec la nouvelle gouvernance mise en place par ce dernier.

Le dépôt du communiqué par ces 4 membre de l’équipe de direction a engendré le prononcé d’un blâme à l’encontre de Monsieur X, le 18 octobre 2013, tel que ci-dessus évoqué et portant une atteinte grave à la liberté d’expression de Monsieur X.

Une mention au registre spécial « danger grave et imminent » a été portée le 5 décembre 2013 par les membres du CHSCT indiquant que suite à la dénonciation de Monsieur X  et des alertes de plusieurs salariés, est constatée une dégradation de son état mental. Il est demandé un visite médicale à son retour de congés.

Par une note en date du 10 décembre 2013, le CHSCT n’a pas trouvé lieu d’engager une enquête concernant Monsieur X, faute de préconisation de la médecine du travail, suite à sa visite médicale.

Lors de la réunion du 10 décembre 2013, le directeur général indique que Monsieur X a dénoncé des faits de harcèlement moral et qu’il avait saisi aussi le conseil de prud’hommes sans indication motivée.

Le directeur général informe qu’il sera retiré du registre de danger grave car ce signalement ne peut être fait pendant un congé ou une maladie.

Il indique que dès son retour, il sera reçu par le secrétaire afin de connaître le motif de harcèlement afin de le protéger et d’en informer le CHSCT pour enquête, cette information ayant été discutée avec l’inspection du travail.

Malgré l’opposition d’une salariée, ce retrait du registre de danger grave et imminent, le secrétaire général a persisté dans sa volonté de retrait, indiquant que le contrat de travail était suspendu, pendant un congé ou une maladie.

Par lettre du 9 janvier 2014, le secrétariat de la direction générale a indiqué au secrétaire du CHSCT que Monsieur X avait été déclaré apte par le médecin du travail et que le CHSCT n’envisageait pas de mener une enquête sauf si la médecine du travail, ou l’inspection du travail le demandait.

Monsieur X établit avoir été placé en arrêt de travail, suite à l’envoi de sa lettre de convocation à entretien préalable, à compter du 24 février 2014 et jusqu’au 10 mars 2014 pour anxiété en lien avec les conditions de travail.

Par lettre du 26 février à l’attention du CHSCT, Madame P., salariée au sein de la direction du CRE RATP indique qu’elle a assisté «  mois après mois, semaine après semaine et jour après jour à la destruction programmée de  Monsieur X, le comparant à un taureau dans l’arène.

Par lettre du 3 mars, 2014, Monsieur X a dénoncé à nouveau, des faits de harcèlement managérial.

Au titre du contexte, Monsieur X produit une lettre de l’inspection du travail, du 25 avril 2012, faisant état de pratiques managériales brutales et déstabilisantes, indiquant qu’entre janvier 2011 et janvier 2012, pas moins de 40 procédures disciplinaires ont été engagées dont 27 après l’arrivée du nouveau directeur général, et que plusieurs autres procédures disciplinaires ont été engagées après le mois de janvier 2012.

La lettre indique que ces procédures tendent à mettre en évidence le caractère abusif de l’exercice disciplinaire contribuant à créer et à développer des situations de souffrance au travail.

Monsieur X produit une lettre en provenance du médecin du travail, évoquant des cas de souffrance pathologiques au travail, parmi les salariés de la direction du CRE RATP, en lien probable avec l’organisation du travail et du management. »

Le Conseil de prud’hommes après avoir examiné les éléments de preuves rapportés par le salariés, notamment les courriers, certificats médicaux et attestations de collègues juge que :

« L’ensemble de ces éléments sont de nature à laisser présumer une situation de harcèlement moral, consistant dans des agissements répétés visant à dégrader les conditions de travail de Monsieur X, altérant sa santé mentale, et susceptible d’altérer son avenir » ;

« Face à ces éléments le CRE RATP n’établit pas, par les pièces qu’il produit aux débats, que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

«Par conséquent, le harcèlement moral est caractérisé à l’encontre de Monsieur X. ».

Le Conseil de prud’hommes juge que le harcèlement moral est établit et alloue au salarié la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Le salarié obtient aussi 5.000 euros pour manquement à l’obligation de sécurité résultat par le CRE RATP.

 

Frédéric CHHUM, Avocat à la Cour (Paris et Nantes)

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