Paris/Bruxelles : analyse comparée du droit sur le licenciement en France et en Belgique

A l’heure où une  réforme du Code du travail est en marche en France et où l’on reproche à notre pays de manquer de compétitivité en raison des règles trop strictes qui encadrent le licenciement, il semble opportun de s’interroger sur les régimes qui existent dans nos pays voisins et notamment en Belgique.

Bruxelles est à 1 heure 22 de Paris en Thalys, et est devenue une banlieue pour Paris.

Si beaucoup de français franchissent la frontière belge pour des raisons fiscales, est-il intéressant d’aller travailler en Belgique pour son « droit du licenciement » ?

A cet égard, la Belgique constitue un point de comparaison particulièrement intéressant, et ce à double titre. D’une part, parce que l’histoire de nos deux pays nous rapproche grandement et que la Belgique applique  toujours un code civil hérité de l’Empire napoléonien et donc très similaire au nôtre. D’autre part, parce qu’elle constitue un pays particulièrement attrayant pour les salariés qui aspirent à devenir travailleurs transfrontaliers.

Pourtant, malgré d’importantes similitudes entre le droit belge et le droit français qui s’expliquent à la fois par l’histoire juridique de la Belgique et par l’harmonisation des législations opérée par le droit de l’Union européenne, le droit du travail belge se révèle très différent de notre droit du travail français.

S’agissant plus particulièrement des règles relatives au licenciement - pierre angulaire de la réforme portée actuellement par Madame El Khomri en France – force est de constater que le droit belge comporte des garanties bien moindres au profit du salarié.

Le présent article concerne le licenciement individuel et non les licenciements collectifs pour motif économique qui obéissent comme en France à des règles particulières.

1) L’absence d’obligation générale de motivation du licenciement en droit belge

Deux hypothèses de licenciement existent en droit du travail belge : le licenciement pour motif grave et le licenciement moyennant préavis.

L’employeur qui procède à un licenciement pour faute grave doit notifier au salarié par écrit, dans un délai de 3 jours ouvrables suivant la notification du licenciement, les motifs qui justifient celui-ci. La motivation doit être suffisamment précise pour que le salarié puisse connaitre avec exactitude les faits qui lui sont reprochés et que le juge puisse vérifier la gravité du motif allégué.

En revanche, lorsque l’employeur ne se fonde sur aucun motif grave, il est en droit de licencier son salarié sans avoir à en préciser les motifs sous la seule réserve qu’il respecte le délai de préavis fixé par la loi.

En effet, en droit belge, l’employeur dispose d’un droit de licencier le salarié en CDI moyennant un préavis. Le cas échéant, l’employeur notifie le licenciement par écrit mais n’a aucune obligation de motiver sa décision.

Ce n’est que si le salarié demande à ce que les motifs de son licenciement lui soient communiqués, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à son ancien employeur dans un délai de 2 mois suivant la rupture de son contrat de travail, que l’employeur est alors tenu de répondre à cette demande. Il dispose alors d’un délai de 2 mois pour communiquer à son ancien salarié les motifs concrets qui ont conduit à son licenciement.

L’employeur peut également prendre l’initiative d’indiquer les motifs concrets directement dans la lettre de licenciement même s’il n’y est aucunement obligé. Le cas échéant, il ne sera pas tenu de répondre à une demande de communication ultérieure du salarié.

Lorsque l’employeur refuse de communiquer les motifs concrets du licenciement à la suite d’une demande du salarié formulée dans les délais, il s’expose à une amende civile forfaitaire correspondant à 2 semaines de salaire.

A l’inverse, quel que soit le motif invoqué (économique, personnel, disciplinaire etc.), le droit du travail français fait peser sur l’employeur une stricte obligation de motivation du licenciement.

Cette motivation doit apparaitre dans la lettre de licenciement elle-même puisque la jurisprudence affirme de manière constante que l’employeur ne peut invoquer à l’encontre du salarié d’autres griefs que ceux qui sont mentionnés dans la lettre de licenciement.La lettre de licenciement fixe définitivement les termes du litige (voir notamment Cass. soc., 21 oct. 2003, no 01-44.172).

Elle doit indiquer les motifs objectifs, précis et vérifiables qui justifient la rupture ; à défaut, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse.

Dans l’hypothèse où les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement apparaissent insuffisants pour fonder celui-ci, les juges français n’hésiteront pas à le requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse et à condamner l’employeur à verser au salarié des dommages-intérêts à ce titre. Et ce quand bien même il existerait d’autres faits matériels non visés dans la lettre mais susceptibles de justifier le licenciement.

2) Des indemnités de rupture réduites en droit belge

Le salarié licencié en Belgique n’a droit à aucune indemnité spécifique au titre de la rupture de son contrat de travail.

Dans le cas d’un licenciement qui n’est pas fondé sur un motif grave, le salarié a toutefois droit à un préavis dont la durée est fonction de son statut et de son ancienneté. Si l’employeur le dispense de travailler pendant cette période, il percevra - comme en droit français - une indemnité dite compensatoire de préavis correspondant à la rémunération qu’il aurait dû percevoir jusqu’au terme de la durée de son préavis.

En dehors de cette éventuelle indemnité compensatoire de préavis, aucune autre indemnité de rupture n’est prévue par le droit du travail belge.

En France, hors les cas de licenciement pour faute grave ou lourde, le salarié licencié a droit au versement d’une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement qui est calculée en fonction de son ancienneté au sein de l’entreprise et qui s’ajoute à une éventuelle indemnité compensatrice de préavis.

Aucune indemnité équivalente n’existe en Belgique.

3) La sanction exceptionnelle du licenciement « manifestement déraisonnable » en droit belge

Le Code du travail français prévoit une sanction à la charge de l’employeur qui a prononcé un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : celui-ci est alors redevable envers son salarié d’une indemnité équivalent au minimum à 6 mois de salaire si ce dernier possède plus de 2 ans d’ancienneté dans une entreprise de plus de 10 salariés (article L. 1235-3 du code du travail). Le montant des dommages intérêts pour rupture abusive est fonction du préjudice subi si le salarié possède moins de 2 ans d’ancienneté ou s’il est employé dans une entreprise de moins de 11 salariés (article L. 1235-5 du code du travail). 

Cette indemnité est versée au salarié dès lors que le motif de licenciement est considéré comme dépourvu de caractère réel et sérieux.

Le droit du travail belge est quant à lui beaucoup plus tolérant à l’égard des employeurs. En effet, il se contente de sanctionner le licenciement « manifestement déraisonnable » définie comme le licenciement fondé sur des motifs soit qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur soit qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service et qui n’auraient jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable.

Dès lors, les situations qui peuvent donner lieu au versement d’une indemnité à ce titre sont bien plus restreintes qu’en droit français.

En outre, le montant même de cette indemnité est largement moindre que celle prévue par le Code du travail français puisqu’elle s’élève, selon la gradation du caractère manifestement déraisonnable, au minimum à 3 semaines de salaire et au maximum à 17 semaines de salaire (soit 4 mois et 1 semaine).

                                                                                 ***

En conclusion, il n’a pas donc pas d’intérêt pour les salariés français à s’expatrier à Bruxelles, du moins, en ce qui concerne la législation sur le droit du licenciement.

Frédéric CHHUM, Avocats à la Cour (Paris et Nantes)

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