Requalification des CDD d’un pigiste en CDI à temps complet : droit à rappel de salaire pendant les périodes intercalaires

Monsieur X a, sans contrat écrit, collaboré avec la société Radio France internationale (la société), à compter de décembre 1999, en qualité de journaliste.

Il réalisait des chroniques au sein de la rédaction albanaise de la radio et était rémunéré comme pigiste. En raison de la réduction des besoins de cette rédaction, un accord collectif d'entreprise du 12 avril 2006 a prévu un plan d'intégration des journalistes concernés.

A compter d'octobre 2006, la société a dispensé le journaliste de toute activité en lui versant mensuellement 1 500 euros brut à titre de compensation salariale, tout en envisageant successivement diverses affectations.

Le 18 avril 2008, elle lui a notifié son licenciement pour insuffisance professionnelle et le journaliste a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Devant la Cour de cassation, la société faisait grief à la Cour d’Appel de Paris  d’avoir requalifié la relation de travail en un contrat à durée indéterminée à temps complet et d'avoir octroyé au salarié diverses sommes à ce titre, ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans son mémoire, la société plaidait notamment que :
 

  • 1°/ qu'un salarié engagé sans écrit pour réaliser des piges est depuis l'origine en contrat à durée indéterminée de sorte qu'il n'y a pas lieu à requalification de prétendus contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ; qu'en l'espèce, il était constant que Monsieur X avait été engagé à compter de décembre 1999 sans écrit en qualité de journaliste rémunéré à la pige et avait ainsi travaillé jusqu'à la fin du mois d'octobre 2006 ; qu'en ordonnant la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée depuis le mois de décembre 1999 et en accordant au salarié une indemnité de requalification, la cour d'appel a violé les articles L. 1242-12, L. 1245-2 et L. 7112-1 du code du travail ;
     
  • 2°/ que le seul fait pour l'employeur de proposer au journaliste rémunéré à la pige un contrat à durée indéterminée dans le cadre de son intégration dans un nouveau service ne vaut pas reconnaissance de ce que le salarié était auparavant engagé par contrats à durée déterminée pour chaque pige ; qu'il était constant en l'espèce que c'était suite à la réduction de l'activité de la rédaction albanaise à laquelle il collaborait auparavant en tant que pigiste que la société lui avait proposé au début de l'année 2007, de l'intégrer dans un autre service en vertu d'un contrat à durée indéterminée ; qu'en déduisant de cette proposition que la collaboration antérieure du salarié s'inscrivait dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs, irréguliers faute d'avoir établis par écrit, la cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 1242-12, L. 1245-2 et L. 7112-1 du code du travail ;
     
  • 3°/ que les pigistes constituent une catégorie de salariés spécifique qui est rémunérée à la tâche et non pas sur la base de leur temps de travail, de sorte que la relation de travail ne peut être analysée à la lumière du temps de travail effectué ; qu'il était constant que M. X... avait travaillé comme journaliste rémunéré à la pige entre décembre 1999 et octobre 2006 ; qu'en requalifiant la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, faute d'écrit précisant la répartition des horaires, la cour d'appel a violé l'article L. 3123-14 du code du travail ;
     
  • 4°/ que les pigistes constituent une catégorie de salariés spécifique qui ne peut pas bénéficier de la classification prévue pour les salariés rémunérés, non à la pige, mais sur la base de leur temps de travail ; qu'il était constant que M. X... avait été rémunéré à la pige entre décembre 1999 et octobre 2006 ; que la société AEF faisait pertinemment valoir que M. X... étant rémunéré non pas en fonction d'un indice sur la grille conventionnelle mais en fonction d'un barème déterminé pour la pige, il ne pouvait se fonder sur la grille conventionnelle au soutien de sa demande de rappels de salaires ; qu'en déduisant en l'espèce de la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée à temps plein que M. X... pouvait prétendre à la classification conventionnelle de rédacteur reporter 1 et au salaire conventionnel correspondant pour la période non prescrite remontant à 2003, lorsqu'ayant travaillé à la pige, il ne pouvait en bénéficier, la cour d'appel a violé les articles 22 et 23 de la convention collective nationale des journalistes professionnels et l'accord d'entreprise du 17 mai 2000 ;

Toutefois, dans un arrêt du 9 juillet 2014 (n°13-13426), la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur sur ce point.

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029249820&fastReqId=1375512148&fastPos=1

La Cour de cassation constate que :

« la fourniture régulière de travail à un journaliste pigiste, pendant une longue période, fait de lui un collaborateur régulier qui doit bénéficier à ce titre des dispositions légales applicables aux journalistes professionnels ».

Elle ajoute que :

« dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation que les collaborations antérieures au mois d'octobre 2006, s'inscrivaient dans le cadre de contrats à durée déterminée et que le salarié avait travaillé durant ces périodes à temps complet, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il convenait de requalifier, en l'absence d'écrit, la relation de travail en contrat à durée indéterminée et d'allouer au salarié, pour les périodes travaillées, un rappel de salaire ».

Cette requalification en CDI à temps complet s’applique notamment aux journalistes pigistes en CDD ou aux intermittents du spectacle sous contrat à durée déterminée d’usage, ou encore aux salariés intérimaires.

La requalification en CDI à temps complet (avec paiement des salaires pendant les périodes intercalaires) implique que le journaliste puisse établir qu’il était à la disposition permanente de la société.

Frédéric CHHUM Avocat à la Cour

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