Requalification des CDD en CDI d’un ingénieur du son, intermittent du spectacle, d’une société de production et rappel de salaires afférents (CA Versailles 10 avril 2015)

La société Sas La Française d’Images, filiale de la société La Française des Jeux, produit des films et des programmes pour la télévision, conçoit, réalise et produit des jeux de la Française des Jeux (loto, super loto, euromillions, keno).

Depuis le 1er août 2008, elle applique la convention collective des entreprises techniques au service de la création et de l’évènement. Elle compte une cinquantaine de salariés.

Du 6 juin 1995 au 27 juillet 1995, Monsieur X a effectué un stage au sein du service audio de la Française d’Images.

Du 1er septembre 1995 au 15 décembre 1995, il a été engagé par cette société suivant quatre contrats à durée déterminée en qualité d’assistant son, puis en la même qualité par contrat à durée indéterminée à compter du 2 janvier 1996.

Il a effectué son service militaire puis a renoué les relations contractuelles avec la Française d’Images en 1998. Il était engagé à compter du 8 février 1998 en qualité d’ingénieur du son statut cadre, suivant des contrats à durée déterminée d’usage. Entre 1998 et 2013 plus de mille cents contrats étaient conclus, à temps partiel (70 journées travaillées par an en moyenne).

Au cours de l’année 2012, le salarié postulait pour un contrat à durée indéterminée d’ingénieur du son offert par la Française d’Images ; sa candidature n’était pas retenue.

Le 28 février 2013, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne- Billancourt afin de voir requalifier ses contrats à durée déterminée à temps partiel en un contrat à durée indéterminée à temps complet, fixer sa rémunération annuelle à 60 000 euros bruts, prononcer la résiliation de son contrat de travail aux torts de l’employeur et obtenir le paiement de différentes sommes suivantes.

Par jugement du 11 juillet 2013 le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :

* requalifié les contrats à durée déterminée d’usage en un contrat à durée indéterminée à temps partiel (mi-temps)

* fixé le salaire annuel à 14 718 euros bruts et le salaire mensuel à 1 226,50 euros bruts

* fixé à 92 423,10 euros la rémunération due à Le salarié sur la pérriode non prescrite du 20 février 2008 au 11 avril 2013

* constaté que le salarié a perçu sur cette période la somme de 98 735,95 euros, soit un trop perçu de 6 312,85 euros

* ordonné la remise d’un bulletin de salaire conforme au jugement

* condamné La Française d’Images à payer à Le salarié la somme de 1 226,50 euros à titre d’indemnité de requalification

* débouté les parties du surplus de leurs demandes

* condamné La Française d’Images aux dépens.

Le 22 juillet 2013, le salarié a signé un contrat à durée indéterminée à temps partiel (64 heures par mois) qui lui a été proposé le 6 mai 2013 après l’audience devant le bureau de jugement. Le salaire proposé était de 2 175 euros bruts par mois ; la société a appliqué le salaire de 1226,50 euros bruts par mois fixé par le conseil de prud’hommes dans son jugement du 31 juillet 2013.

Le Salarié a régulièrement interjeté appel de ce jugement et  a demandé à la cour de l’infirmer.

1) Sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée d’usage en un contrat à durée indéterminée et sur la demande d’indemnité de requalification

Aux termes de l’article L 1242-2 du code du travail, un contrat à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans certains cas, notamment pour les emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire des emplois.

Selon l’article D 1242-1, l’audiovisuel est un des secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour des emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire des emplois.

Mais même dans les secteurs visés à cet article, le recours à des contrats à durée déterminée successifs doit être justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

En l’espèce, outre qu’il n’est pas établi qu’il soit d’usage constant dans le secteur considéré de la production audiovisuelle de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée, étant observé que la société Française d’Images y a recours puisque dans le service Audio dans lequel travaille le salarié deux ingénieurs du son travaillent en contrat à durée indéterminée aux côtés de sept autres en contrats à durée déterminée, il résulte en tout état de cause des éléments du dossier que le poste occupé par le salarié depuis le 8 février 1998 était lié durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

En effet, il est constant que depuis cette date Le salarié travaillait à la réalisation par la société Française d’Images des mêmes émissions de jeux (loto, keno, euromillions, super loto), émissions pérennes et diffusées régulièrement toute l’année. La participation à la réalisation de ces émissions amenait Le salarié à travailler de façon régulière entre 61 et 82 jours par an, soit 73 jours en moyenne.

C’est donc à raison sur le conseil de prud’hommes a requalifié les contrats à durée déterminée du salarié en un contrat à durée indéterminée.

Cette requalification doit être opérée à compter du 8 février 1998, date à laquelle le salarié a été engagé sous contrat à durée déterminée en qualité d’ingénieur du son après avoir effectué son service militaire. Est distincte la période contractuelle précédente du 1er septembre 1995 eu 1er mars 1997 durant laquelle Le salarié a travaillé pour la société Française d’Images en contrat à durée déterminée puis en contrat à durée indéterminée en qualité d’assistant son.

Sur le fondement de l’article L 1245-2 du code du travail, Le salarié est fondé à solliciter le paiement d’une indemnité de requalification d’un montant au moins égal à un mois de salaire.

Au vu des éléments de la cause, notamment de la durée de la relation contractuelle, il convient de chiffrer cette indemnité à 5 000 euros ; le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

2) Sur le temps partiel

Le salarié ne sollicite plus la requalification de son temps partiel en temps plein mais

le bénéfice d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel de 75,5 heures correspondant à un mi-temps, cela jusqu’au 1er juillet 2014, puis à partir de cette date, qui correspond à l’entrée en vigueur de la loi 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, un contrat à durée indéterminée à temps partiel de 104 heures par mois, cette loi imposant désormais une durée minimale de 24 heures par semaine ou son équivalent mensuel de 104 heures.

En cas de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la société Française d’Images demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu un contrat à durée indéterminée à temps partiel de 75,5 heures par mois, et s’agissant de la revendication d’un temps partiel de 104 heures à partir du 1er juillet 2014, elle oppose l’existence d’un accord de branche qui a été conclu le 24 octobre 2014, dont elle justifie, et qui permet aux entreprises techniques au service de la création et de l’événement de conclure des contrats de travail à temps partiel à partir d’un seuil minimum de 17 heures 30, inférieur au seuil de 24 heures imposé par la loi.

La loi du 14 juin 2013 permet effectivement de déroger par une convention ou un accord de branche à la durée hebdomadaire minimale de 24 heures.

Le salarié sera donc débouté de sa demande tendant à voir fixer la durée de son temps partiel à 104 heures par mois à partir du 1er juillet 2014 ; le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a fixé ce temps partiel à 75,5 heures par mois, temps que les parties ne remettent plus en cause.

3) Sur le montant du salaire et les rappels de salaire

Le jugement entrepris doit être infirmé en qu’il a fixé le montant du salaire du salarié à un montant inférieur à celui qu’il percevait dans le cadre de ses contrats à durée déterminée, en se fondant sur le salaire mensuel brut d’un ingénieur du son en contrat à durée indéterminée tel que prévu à la convention collective , sans apparemment tenir compte de l’ancienneté du salarié qui occupe ce poste depuis le 8 février 1998.

Le montant retenu par le conseil de 2 453 euros bruts par mois pour un contrat à durée indéterminée à temps plein aboutit en outre à la violation du principe “à travail égal salaire égal”, le salaire du salarié se trouvant fixé à un montant inférieur à celui des deux autres ingénieurs du son en contrat à durée indéterminée à temps plein, messieurs Y et Z dont les salaires mensuels respectifs sont de y euros et z euros selon les conclusions concordantes des parties sur ce point.

Le principe d’égalité est d’autant violé que des trois salariés, c’est Monsieur X qui a, d’une part, la plus grande ancienneté globale, sa collaboration avec la Française d’Images ayant commencé en 1995, alors que M. Y a été engagé en 2003 et M. Z en 1997, d’autre part, la plus grande ancienneté en qualité d’ingénieur du son puisqu’il l’a acquise en 1998 alors que M. Y ne l’a acquise qu’en 2012 et M. Z en 2010 ainsi qu’il résulte des avenants produits par la société.

Il ressort par ailleurs des éléments au dossier (contrat de travail et bulletins de salaire) que le salarié travaillait depuis 2007 à mi-temps pour la société Eurosport France en qualité d’ingénieur du son, et que sur la base d’une ancienneté au 25 août 2007 son salaire a été fixé pour un temps partiel à 50% à 1 950 euros bruts puis à 2 000 euros brut à compter du 1er février 2009, pour atteindre 2 175 euros en mars 2013.

Enfin, au cours de l’instance devant le conseil de prud’hommes, la société Française d’Images a cherché à transiger avec le salarié en lui proposant le 6 mai 2013 de conclure un contrat à durée indéterminée à temps partiel à raison de 64 heures par mois pour un salaire mensuel brut de 2175 euros , outre un treizième mois, ce qui correspond à un taux horaire de 33,98 euros sensiblement équivalent au salaire horaire qui était payé à Le salarié dans le cadre de ses contrats à durée déterminée d’usage depuis 2008.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le salarié est fondé à revendiquer pour un temps partiel de 75,5 heures par mois, un salaire mensuel brut de 2 565 euros sur 13 mois.

Par suite, il sera fait droit à ses demandes de rappel de salaire suivantes, qu’il a justement  calculés sur la base de ce montant :

- 60 986 euros bruts du 20 février 2008 au 11 avril 2013, outre 6 098,60 euros de congés payés afférents,

- 12 825 euros bruts à titre du treizième mois sur cette période de cinq ans non prescrite.

Il y a lieu de rejeter la demande de rappel de salaire de 18 740,61 euros pour la période de juillet 2013 à septembre 2013 pour laquelle le salarié ne fournit pas de décompte détaillé.

En revanche, il doit être jugé qu’à compter du mois de juillet 2013, date à laquelle un contrat à durée indéterminée a été conclu entre les parties sur la base du temps partiel et du salaire retenus par le conseil de prud’hommes, la société Française d’Images doit rembourser au salarié la différence entre le salaire brut mensuel de 2 565 euros sur treize mois qui est retenu par la cour et le salaire qui a été effectivement versé.

La société Française d’Images devra en outre rembourser au salarié la somme de 6 312,85 euros qu’elle a retenue sur le salaire de Le salarié en exécution du jugement du conseil de prud’hommes, ce jugement étant infirmé de ce chef.

4) Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Le salarié forme cette demande sur le fondement de cinq manquements de l’employeur:

- le recours abusif au contrat à durée déterminée d’usage,

- le prélèvement illicite d’un trop perçu de 6 312,85 euros sur son salaire, alors que le jugement du conseil de prud’hommes ne condamne pas le salarié au remboursement de cette somme,

- la violation du principe A travail égal salaire égal dans la fixation du salaire du contrat à durée indéterminée du 22 juillet 2013,

- le refus de l’employeur de passer son temps de travail à 24 heures par semaine à compter du

1er juillet 2014 en application de la loi sur la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013,

- la mauvaise foi de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail, se caractérisant par les éléments suivants :

* la violation du principe A travail égal salaire égal,

*l’envoi des tickets restaurant à Le salarié en fin de mois alors que ses collègues de travail les recevaient en début de mois,

*la saisie de 100 % de son salaire en juillet et août 2013 pour le paiement du trop-perçu, sans respect de la quotité saisissable,

*le défaut de mise à disposition des mêmes moyens de travail que les autres salariés entre juillet 2013 et janvier 2014 (absence de bureau, d’ordinateur, etc)

*le défaut d’entretien annuel,

- le harcèlement moral pratiqué par l’employeur à son égard, se caractérisant par les mêmes éléments que ceux précédemment énoncés au titre de la mauvaise foi contractuelle.

Le salarié a été débouté de sa demande de résiliation judiciaire.

Le salarié, ingénieur du son obtient au total environ 130.000 euros du fait de la requalification des CDD en CDI.

 

Frédéric CHHUM Avocat à la Cour

4, rue Bayard 75008 Paris

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