Artistes du spectacle : l’Opéra de St Etienne condamné à payer 100 K euros à 2 Barytons choristes intermittents employés depuis 30 ans en CDDU requalifiés en CDI à temps complet (CPH St Etienne 28/04/25)

L’opéra de Saint Etienne a interjeté appel du jugement du Conseil de prud’hommes de St Etienne du 28 avril 2025.

Dans ce jugement du 28 avril 2025, le Conseil de prud’hommes requalifie les 30 ans de CDDU en CDI à temps complet du choriste baryton intermittent du spectacle.

Il condamne l’Opéra à 90 000 euros de rappel de salaire pendant les périodes intercalaires entre 2 contrats.

Il condamne également l’opéra à une indemnité pour travail dissimulé car l’opéra de paie pas le travail préparatoire des œuvres, réalisé avant les répétitions et représentations.

Il fixe le salaire du choriste intermittent à 2776 euros bruts.

Le Baryton choriste intermittent est débouté de ses autres demandes.

Le conseil de prud’hommes ordonne l’exécution provisoire du jugement (Art. 515 du CPC).

Ce jugement du conseil de prud’hommes de St Etienne est une confirmation de jurisprudence.

Il. SUR LE FOND

2.1) Sur la compétence du Conseil de Prud'hommes :

Monsieur X soutient que le Conseil de Prud'hommes est compétent pour connaître du présent litige, d'autant plus que les contrats de droit privé conclus entre lui et la Commune de Saint-Étienne comportent une clause attributive de compétence. En effet, l’article 10 de ces contrats stipule que tout litige auquel pourrait donner lieu le présent contrat sera soumis au Conseil de Prud'hommes de Saint- Étienne en première instance »

L'application du Code du travail aux intermittents du spectacle a par ailleurs été pleinement reconnue par la Commune de Saint-Étienne, qui, à compter du 2 novembre 2016, a cessé de conclure des contrats de droit public avec les artistes du spectacle de l'Opéra, y compris avec Monsieur X, pour Ieur faire signer des contrats de droit privé, conformément aux articles L.1242-1, L.1242-2 3º et D.1242-1 du Code du Travail

De plus, il était logique et cohérent que le Tribunal des conflits attribue ce type de litiges à la juridiction judiciaire, dans la mesure où les collectivités territoriales, lorsqu'elles agissent en qualité d'entrepreneur de spectacles vivants, sont soumises aux règles du Code du Travail pour les artistes qu'elles engagent.

En réponse, la Commune de Saint-Étienne soutient que la compétence du juge dépend du caractère permanent ou temporaire de I ‘activité exercée. Selon elle, le juge judiciaire est compétent si I ‘activité est temporaire, tandis que le juge administratif est compétent si l'activité est permanente.

En l'espèce, Monsieur X a été employé depuis le 21 mai 1997 sous contrats à durée déterminée de droit public, avant que ses contrats ne deviennent des CDD de droit privé à partir du 1er août 2016

Le bureau de jugement relève que l'existence de contrats de droit privé emporte la compétence du Conseil de Prud'hommes, d'autant plus que l'Opéra de Saint-Étienne, en sa qualité d'employeur, a lui-même reconnu ce statut en insérant dans des contrats de travail la mention explicite selon laquelle « I ’artiste n'est pas fonctionnaire. ».

En conséquence, la relation de travail issue des contrats signés entre Monsieur X et la Commune de Saint-Étienne relève bien de la compétence du Conseil de Prud'hommes

2.2) Sur l'application de la Convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles du 1er janvier 1984 :

L'article L. 3245-1 du Code du Travail dispose que

« L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui

/’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. »

Monsieur X dit qu'il devrait bénéficier des dispositions de la convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles du 1er janvier 1984.

La convention collective CCNEAC dont se prévaut Monsieur X a été mise à jour par avenant du 26 janvier 2018, entrée en vigueur le 28 mars 2018

La requête de Monsieur X est datée du 23 octobre 2024, or il avait un délai de trois ans pour agir. En conséquence, le bureau de jugement constate la prescription de ce chef de demande

 

2.3) Sur la demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée à temps plein travail :

L'article L.1242-1 du Code du Travail énonce que

« Le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à I ’activité normale et permanente de l'entreprise. »

L'article L.1242-2 du Code du Travail prévoit que

« Sous réserve des dispositions de l'article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants.

6.) Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. »

Par ailleurs, le contrat de travail à durée déterminée doit comporter la définition précise de son motif, et à défaut, il est réputé être conclu pour une durée indéterminée suivant l'article L.1242-12 du Code du Travail

Suivant l'article D.1242-1 6º du même code, les spectacles et l'action culturelle figurent parmi les secteurs d'activités dans lesquels il est possible de conclure des contrats à durée déterminée d'usage en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois

Monsieur X fait valoir que les contrats à durée déterminée d'usage successifs qui lui ont été proposés omettent de mentionner la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle ainsi que Ieur répartition sur la semaine ou le mois. Il soutient qu'aucun usage constant ne justifie le recours continu aux CDD d'usage pour pourvoir l'emploi d'artiste de chœur qu'il occupe au sein de l'Opéra de Saint-Étienne. En effet, il relève qu'un grand nombre d'opéras et de théâtres en France — à Dijon, Angers, Nantes, Metz, Toulouse, Avignon, Genève — recrutent Ieurs artistes en contrat à durée indéterminée afin de constituer un chœur permanent.

Monsieur X insiste sur le fait que, depuis son premier contrat à durée déterminée de droit public signé le 21 mai 1997, puis par la suite sous contrats de droit privé à partir du 1er août 2016, ses fonctions ont toujours pour objet de pourvoir un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'Opéra de Saint- Étienne. Il démontre qu'il a été engagé pour quasiment autant de productions que d'œuvres montées et présentées, chaque année, par le biais de contrats signés en juillet-août pour la saison à venir. De ce fait, il estime que la condition d’« existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi » n'est pas remplie et que son emploi, en tant qu'artiste de chœur intégré au service organisé de l'Opéra, doit être reconnu comme permanent.

Il est d'ailleurs rappelé, à l'instar de l'affaire examinée concernant Madame B et s'opposant à la Commune de Saint-Étienne (affaire similaire portée à l'audience du mois de mars 2024), que la jurisprudence démontre que, lorsqu'un artiste, par le biais de contrats successifs, assure une activité régulière et indispensable au fonctionnement de l'établissement, l'usage constant ne peut justifier le maintien d'un régime de CDD d'usage.

En l'espèce, les éléments versés au débat, notamment diverses annonces d'emplois d'artistes de chœur émises par d'autres opéras français recrutant en CDI, montrent clairement qu'un tel emploi relève d'une permanence.

Par ailleurs, Monsieur X soumet au dossier le compte rendu du conseil municipal du 15 janvier 2018, dans lequel il est notamment évoqué par Monsieur le Maire que la situation précaire des intermittents de l'Opéra et les propositions erratiques de volumes d'heures rendaient la conversion en CDI coûteuse et problématique.

 

La Commune de Saint-Étienne se prévaut d'une jurisprudence antérieure — notamment l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 10 octobre 2019 — qui avait jugé que le recours aux CDD d'usage était justifié lorsque les trois conditions de l'article L.1242-2 du Code du Travail étaient remplies. Elle relève que Monsieur X a été recruté de manière discontinue, effectuant entre 5 et 44 jours de travail par an, et que la multiplicité de la programmation de l'Opéra, qui ne requiert l'intervention des choristes que pour certaines œuvres lyriques en fonction du nombre, du genre ou de la langue, justifie l'usage des CDD d'usage

Néanmoins, il apparaît, au vu des éléments du débat, que l'existence d'un usage constant permettant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée pour l'emploi d'artiste de chœur n'est pas démontrée dans le cas particulier de Monsieur X.

Les arrêts rendus par la Cour d'appel de Lyon le 10 octobre 2019 et par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation (n“19-25257) du 29 septembre 2021 ont en effet conclu que les CDD conclus entre le salarié et la Commune ne répondaient pas aux critères légaux, ayant pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'Opéra.

Par conséquent, le bureau de jugement estime que les contrats à durée déterminée d'usage conclus avec Monsieur X ne satisfont pas aux conditions légales justifiant Ieur recours et avaient pour effet de pourvoir durablement un emploi permanent. Le bureau de jugement ordonne donc la requalification de ces contrats en contrat à durée indéterminée à temps plein.

L'article L. 3123-6 du Code du Travail dispose que

« Le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit. Il mentionne

1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif conclu en application de l'article L. 3121-44, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois,”

Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification,’

Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans /es associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié,

4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée par le contrat.

L’avenant au contrat de travail prévu à l'article L. 3123-22 mentionne les modalités selon lesquelles des compléments d'heures peuvent être accomplis au-delà de la durée fixée par le contrat »

Monsieur X fait valoir que les contrats à durée déterminée d'usage qui lui ont été successivement proposés ne mentionnent ni la durée prévue ni sa répartition. Cette lacune dans l'écrit conduit à présumer que son emploi est exercé à temps plein, d'où l'obligation pour l'employeur de prouver la durée exacte convenue et de démontrer que Monsieur X n'était pas tenu de se tenir en permanence ä la disposition exclusive de l'Opéra de Saint-Étienne

De surcroît, il apparaît une clause d'exclusivité dans ses contrats, prévoyant qu'en cas de non-respect de l'obligation d'apprentissage des partitions en amont de la production, une telle méconnaissance constituerait un motif de rupture (article 6 du contrat de travail). Par ailleurs, les documents versés au débat démontrent que la Commune de Saint-Étienne était l'unique employeur de Monsieur X, rendant particulièrement difficile pour lui de s'engager auprès d'un autre employeur durant les périodes intercalaires

Cependant, la Commune de Saint-Étienne formule des observations contradictoires.

D'une part, elle soutient que le recours aux CDD d'usage est justifié par la nature temporaire de la programmation de l'Opéra, qui ne nécessite pas la mention systématique de la durée de travail, compte tenu du caractère discontinu des engagements — Monsieur X n'aurait travaillé que pour un nombre variable de jours (entre 5 et 44 jours annuels).

D'autre part, la Commune estime que cette pratique relève de l'usage constant dans ce secteur et ne saurait être remise en cause par l'absence d'indications précises dans les contrats

Néanmoins, les éléments versés au débat, notamment l'obligation d'exclusivité et les difficultés pour Monsieur X de cumuler d'autres engagements du fait de son unique employeur, ne permettent pas de renverser la présomption d'un emploi à temps plein. En l'espèce, l'absence d'écrit précisant la durée exacte du travail, conjuguée aux obligations imposées et aux modifications tardives des plannings, confirme que l'emploi de Monsieur X est permanent.

Aussi, le bureau de jugement constate qu'un dépassement avéré du temps de travail constitue un élément déterminant justifiant la requalification du contrat à durée déterminée d'usage en contrat à durée indéterminée à temps plein. (CAS. Civ. Ch Sociale 21/09/2022, 20-10.701)

Par  ailleurs, l'article 2, paragraphe 2, du contrat de travail stipule que I artiste déclare qu’il réserve l'exclusivité à son employeur, ce qui implique une indisponibilité totale pour tout autre engagement professionnel. Bien que les heures de travail soient établies dans des plannings, ces derniers sont prévisionnels et donc sujets à modifications, ce oui empêche toute organisation permettant d'exercer une activité parallèle

Dès lors, la combinaison d'une exclusivité contractuelle stricte et de plannings non figés et susceptibles de variations conduit à reconnaître que Monsieur X était de fait mobilisé en permanence par l'Opéra de Saint-Étienne, empêchant toute autre activité professionnelle, ce qui justifie pleinement la requalification du contrat en CDI à temps plein

Par conséquent, le bureau de jugement conclut que les contrats à durée déterminée d'usage conclus avec Monsieur X ne satisfont pas aux conditions légales et présument un engagement à temps plein Le bureau de jugement ordonne ainsi la requalification de ces contrats en un contrat à durée indéterminée à temps plein

 

***

Le Bureau de jugement du Conseil de Prud'hommes de Saint-Étienne, Section Activités diverses, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi

SE DÉCLARE compétent

ORDONNE la requalification des CDD d'usage de Monsieur X en CDI à temps plein avec reprise d'ancienneté au 21 mai 1997

FIXE la rémunération mensuelle brute à 2 776 euros ;

CONDAMNE la Commune de Saint-Étienne à payer à Monsieur X les sommes suivantes

  • 8 328,00 euros nets à titre d'indemnité de requalification ,
  • 83 144,60 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période du 1erseptembre 2021 au 31 décembre 2024
  • 8 314,46 euros bruts au titre des congés payés afférents
  • 5 550 euros nets à titre d'indemnité pour dissimulation d'emploi salarié ,
  • DÉBOUTE Monsieur X de toutes ses autres demandes.

CONDAMNE la Commune de Saint-Étienne à verser à Monsieur X la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du CPC

ORDONNE l'exécution provisoire sur l'intégralité du jugement conformément à l'article 515 du CPC

ORDONNE les intérêts légaux sur les indemnités de rupture à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes de Saint-Étienne et pour les autres indemnités à compter du prononcé du présent jugement

ORDONNE à la Commune de Saint-Étienne à remettre à Monsieur X un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation France Travail (ex-Pôle Emploi) rectifiée sous astreinte de 50 euros par jours de retard à compter du présent jugement

CONDAMNE la Commune de Saint-Étienne au paiement des dépens DÉBOUTE les parties de toutes Ieurs demandes plus amples.

Son collègue Baryton de l’Opéra de St Etienne a obtenu une décision quasi identique par jugement du conseil de prud’hommes de St Etienne du même jour.

Pour lire l’intégralité de la brève, cliquez sur le lien ci-dessous

https://www.legavox.fr/blog/frederic-chhum-avocats/intermittents-spectacle-opera-etienne-condamne-37376.htm

 

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

e-mail: chhum@chhum-avocats.com

www.chhum-avocats.fr

https://www.instagram.com/fredericchhum/?hl=fr

.Paris: 34 rue Petrelle 75009 Paris tel: 0142560300

.Nantes: 41, Quai de la Fosse 44000 Nantes tel: 0228442644

.Lille: : 45, Rue Saint Etienne 59000 Lille – Ligne directe +(33) 03.20.57.53.24

 

 

 

 

 

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