Journaliste TV-  prise d’acte d’une journaliste pigiste rédactrice en chef adjoint de CNEWS requalifiée en licenciement sans cause (CPH Paris 30/06/25, def)

Dans un jugement définitif du 30 juin 2025, le Conseil de prud’hommes de Paris (section encadrement chambre 2) juge que la prise d’acte d’une journaliste pigiste rédactrice en chef adjoint produit les effets d’un licenciement sans cause.

Le Conseil de prud’hommes rejette la demande de CNEWS de renvoi de l’affaire en bureau de conciliation car la prise d’acte justifie que l’affaire soit entendue en bureau de jugement.

Le Conseil de prud’hommes de Paris juge qu'en application de l'article L 1242-12 du Code du travail, la relation liant Mme. X à la SESI est un contrat à durée indéterminée à effet du Ier novembre 2016 jusqu'au 6 février 2025.

Enfin, le Conseil de prud’hommes juge que la prise d’acte de la journaliste produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision est définitive, les parties n’ayant pas interjeté appel du jugement.

1) FAITS CONSTANTS

Mme. X est journaliste professionnelle et a exercé des piges de manière discontinue au bénéfice de la SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION D'UN SERVICE D'INFORMATION (SESI), filiale du groupe CANAL +, exploitant la chaîne CNEWS autrefois dénommée ITélé, du 1 er novembre 2016 au Ier mai 2024.

Un contrat était rédigé pour chaque pige. La rémunération brute de la pige au moment des faits était de 236,67 euros.

La convention collective applicable est celle des journalistes professionnels (IDCC 1480).

Le 6 février 2025, Mme. X notifie à son employeur la prise d'acte de la relation contractuelle en raison des fautes commises par celui-ci,

2) MOTIVATIONS ET JUGEMENT DU CONSEIL 

 

Dans un jugement du 30 juin 2025, le Conseil de prud’hommes de Paris, après en avoir délibéré, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort :

DIT que le contrat liant la SNC SOCIETE D'EXPLOITATION D'UN SERVICE D 'INFORMATION à MME.B est un contrat à durée indéterminée.

DIT que la demande de reconnaissance de la prise d'acte aux torts de l'employeur est recevable en bureau de jugement direct.

DIT que la prise d'acte de MME.B est aux torts de l'employeur.

FIXE le salaire de MME.B à la somme de 727,22 euros bruts.

CONDAMNE la SNC SOCIETE D'EXPLOITATION D'UN SERVICE D'INFORMATION à verser à MME.B les sommes suivantes :

 

  • 6763, 14 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 01/05/24 au 06/02/25 - 676,31 euros au titre des congés payés afférents
  • 2094,39 euros à titre de rappel de salaire sur la prime d'ancienneté
  • 1454,44 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
  • 145,44 euros au titre des congés payés afférents
  • 6014,11 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

 

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de jugement.

RAPPELLE qu'en vertu de l'article R. 1454-28 du Code du Travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire. Fixe cette moyenne à la somme de 727,22 euros bruts.

  • 2900 euros nets à titre de dommages et intérêts au titre de la prise d'acte avec pour effet un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement.

  • 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

ORDONNE la remise par la SNC SOCIETE D'EXPLOITATION D'UN SERVICE D'INFORMATION à MME.X d'une attestation France Travail et un solde de tout compte intégrant le présent jugement.

DÉBOUTE MME.B du surplus de ses demandes.

DÉBOUTE la SNC SOCIETE D'EXPLOITATION D'IN SERVICE D'INFORMATION de se demandes reconventionnelles.

CONDAMNE la SNC SOCIETE D'EXPLOITATION D'UN SERVICE D'INFORMATION aux dépens.

Vu les articles suivants du Code de Procédure Civile :

Article 5 : "Le Juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. "

Article 6 : "A l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder. tt

Article 9 : "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. "

Article 472 : "Le Juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée. "

Article 12 : "Le Juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes illégaux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. "

Vu l'article 5 du Code civil : " Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. "

2.1) Sur la demande in limine litis de la SESI de renvoi de l'affaire en bureau de conciliation

a) En droit

Vu l'article L 1451-1 du Code du travail : " Lorsque le conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l'affaire est directement portée devant lé bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d'un mois suivant sa saisine.

Vu l'article L 1245-2 du Code du travail : " Lorsque le conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l'affaire est directement portée devant le bureau de jugement qui statue au fond dans un délai d'un mois suivant sa saisine.

b) En l'espèce

Mme. X demande à ce que sa relation contractuelle avec la SESI soit reconnue comme un contrat de travail à durée indéterminée.

Dans les attestations Pôle Emploi / France Travail, l'employeur a mentionné la fin de contrat à durée déterminée comme motif de rupture.

Il s'en suit que l'employeur considérait les contrats de pige comme des contrats à durée déterminée et que Mme. X réclame bien leur requalification en contrat à durée indéterminée.

En outre, elle demande au Conseil la qualification de la rupture du contrat de travail à son initiative en raison de manquements qu’elle estime graves et qu'elle reproche à son employeur.

Le Conseil juge qu'il n'y a pas lieu, en application des articles L 1451-1 et L 1245-2 du Code du travail précités de renvoyer l'affaire devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation et que l'affaire peut être plaidée, entendue et jugée dans toutes ses demandes devant le présent Bureau de Jugement.

En conséquence

Le Conseil déboute la SESI de sa demande de renvoi de l'affaire devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation.

2.2) Sur la demande de constatation d'emploi de manière régulière et continue en contrat à durée indéterminée du 1er novembre 2016 jusqu'au 6 février 2025

2.2.1) En droit

a) Sur la présomption de salariat applicable aux pigistes réguliers

 

Vu l'article 7111-3 du Code du travail : Est Journaliste Professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

Le correspondant, qu'il travaille sur le territoire français ou à l'étranger % est un journaliste professionnel s 'il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa.

Vu l'article 7112-1 du Code du travail : " Toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumé être un contrat de travail.

Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties. "

a) Sur la qualification du contrat

 

Vu l'article L 1242-1 du Code du travail : " Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Vu l'article L 1242-2 du Code du travail " Sous réserve des dispositions de l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants :  

 

1°Remplacement d'un salarié en cas

  1. D'absence ;
  2. De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur ;
  3. De suspension de son contrat de travail ;
  4. De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité social et économique, s'il existe ,
  5. D'attente de l'entrée en service effective du salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;

2° Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ;

3°Emplois à caractère saisonnier, dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs ou emplois pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. Lorsque la durée du contrat de travail est inférieure à un mois, un seul bulletin de paie est émis par l'employeur ,

 

 

Vu l'article D 1242-1 du Code du travail " En application du 3 0 de l'article L. 1242-2, les secteurs d'activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois sont les suivants :

…/…

8°L'information, les activités d'enquête et de sondage

…/…

Vu l'article L 1242-12 du Code du travail " Le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

Il comporte notamment :

1°Le nom et la qualification professionnelle de la personne remplacée lorsqu'il est conclu au titre des

1°, 4° et 5° de l'article L. 1242-2

2°La date du terme et, le cas échéant, une clause de renouvellement lorsqu 'il comporte un terme précis

3°La durée minimale pour laquelle il est conclu lorsqu'il ne comporte pas de terme précis

4°La désignation du poste de travail en précisant, le cas échéant, si celui-ci figure sur la liste des postes de travail présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés prévue à l'article L. 4154-2, la désignation de l'emploi occupé ou, lorsque le contrat est conclu pour assurer un complément de formation professionnelle au salarié au titre du 2° de l'article L. 1242-3, la désignation de la nature des activités auxquelles participe le salarié dans l'entreprise ;

5°L'intitulé de la convention collective applicable ;

6°La durée de la période d'essai éventuellement prévue ;

7°Le montant de la rémunération et de ses différentes composantes, y compris les primes et accessoires de salaire s'il en existe ;

8°Le nom et l'adresse de la caisse de retraite complémentaire ainsi que, le cas échéant, ceux de l'organisme de prévoyance.

 

2.2.2) En l'espèce

Mme. X est titulaire de la carte de presse.

Pour chaque mois dans lequel des piges étaient effectuées, Mme. X recevait un bulletin de paie de salariée et à chaque fin de période d'exécution, une attestation Pôle Emploi / France Travail lui était remise faisant apparaître sans ambiguïté sa qualité de salariée et le motif de rupture 'f fin de CDD t'.

Il en résulte que pour l'employeur, Mme. X avait bien la qualité de salariée durant l'exécution des piges, appliquant ainsi la présomption simple mentionnée à l'article L 7112-1 du Code du travail.

L'employeur réfute la présomption en arguant que Mme. X n'a ni activité régulière au sein de la SESI ni qu'elle tire de la SESI le principal de ses ressources.

Le Conseil, à la lecture de l'article L 71 1 1-3 du Code du travail, dit que si le cumul de l'activité régulière au sein d'une même société et le principal des ressources tiré de cette société est une condition suffisante pour reconnaître la qualité de salarié, ce cumul n'est en revanche pas une condition nécessaire, l'activité régulière et le principal des ressources pouvant relever de plusieurs sociétés,

Or par le profil " Linkedln " de Mme. X versé au dossier par l'employeur, il apparaît que cette dernière travaille pour France Télévisions depuis 2020, M6 depuis avril 2018, La Revue W depuis janvier 2019, RTL depuis février 2024. Pour le Conseil, il n'y a aucun doute que Mme. X exerce de manière régulière en en tirant l'essentiel de ses revenus de la profession de journaliste pigiste.

Au surplus, Mme. X a effectué sa première pige pour la SESI en novembre 2016.Elle a effectué 20 piges en 2016, 84 en 2017, 81 en 2018, 89 en 2019, 52 en 2020, 83 en 2021, 44 en 2022, 37 en 2023, de sorte qu'il est établi que la SESI a eu régulièrement recours à ses services.

Le Conseil dit que la présomption visée à l'article L 7112-1 du Code du travail ne peut être réfutée.

L'employeur fait valoir que Mme. X n'avait aucun lien de subordination. Le Conseil constate qu'elle devait remplir sa mission à des heures et journées précises, qu'il n'est pas concevable que son travail ne soit soumis à aucun contrôle ou accord avant diffusion des émissions par la chaîne, quand bien même elle avait les fonctions de Directrice de Rédaction qu'elle participait à des conférences de rédaction. Le Conseil dit que cet argument est inopérant.

Il résulte du 3° de l'article L 1242-2 du Code du travail et du 8° de l'article D 1242-1 du même code, que la SESI peut recourir à des contrats de travail à durée déterminée dits d'usage.

Les contrats versés au dossier mentionnent en en-tête "contrat de pige".

L'objet du contrat est libellé comme suit "Au nom et pour le compte de la société SESI, je vous propose de participer la production mentionnée ci-dessus selon les conditions particulières ci-dessous et les conditions générales figurant au verso du présent exemplaire."

Ni le contrat lui-même ni les " conditions générales d'engagement des journalistes pigistes ponctuels" ne mentionnent le motif de recours au contrat à durée déterminée, que ce soit le remplacement d'un salarié absent, accroissement temporaire d'activité ou le contrat à durée déterminée d'usage, les autres motifs de recours ne pouvant s'appliquer à l'espèce.

Le Conseil dit que le contrat ne respecte pas les dispositions de l'article L 1242-12 du Code du travail en ce qu'il ne précise pas l'un des motifs de recours visés à l'article L 1242-2 du Code du travail.

Lors des débats, l'employeur a prétendu qu'il était nécessaire de remplacer des journalistes absents (maladie, congés…), mais le Conseil constate que le motif de recours " remplacement d'un salarié absent " ainsi que les noms du ou des salariés remplacés ne sont pas mentionnés sur le contrat. De même, le motif du contrat d'usage qui aurait pu être invoqué n'est pas mentionné.

Il ne peut s'agir non plus d'accroissement temporaire d'activité, puisqu'il s'agit de produire des émissions incluses dans les temps d'antenne qui sont globalement constants.

En conséquence

Le Conseil juge qu'en application de l'article L 1242-12 du Code du travail, la relation liant Mme. X à la SESI est un contrat à durée indéterminée à effet du Ier novembre 2016 jusqu'au 6 février 2025.

Pour lire l’intégralité de la brève, cliquez sur le lien ci-dessous

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

e-mail: chhum@chhum-avocats.com

www.chhum-avocats.fr

https://www.instagram.com/fredericchhum/?hl=fr

.Paris: 34 rue Petrelle 75009 Paris tel: 0142560300

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