Prise d’acte (Secteur édition) : condamnation d’EDIMARK pour discrimination syndicale d’une dessinatrice d’exécution, licenciement nul et paiement d’heures supplémentaires (CA Paris 12 juin 2025)

Edimark est condamnée à payer à la salariée dessinatrice d’exécution des dommages intérêts pour discrimination syndicale.

La prise d’acte de la dessinatrice produit les effets d’un licenciement nul.

La société est condamnée également à payer des heures supplémentaires à la salariée.

La dessinatrice est déboutée de ses autres demandes.

***

La cour d’appel de Paris, après en avoir délibéré,

REJETTE des débats les pièces n° 22, 57 et 65 du dossier de Mme X, ainsi que leur référence dans les conclusions de cette dernière dans le cadre de la présente instance,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à la discrimination syndicale, aux effets de la prise d’acte, aux indemnités de rupture, lesquelles sont infirmées,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par Mme Véronique

X a eu les effets d’un licenciement nul,

CONDAMNE la société Edimark à payer à Mme X les sommes de :

- 2 000 € de dommages-intérêts pour discrimination syndicale,

- 5 200 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

- 520 € au titre des congés payés y afférents,

- 3 900 € à titre d’indemnité de licenciement,

- 16 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal, sont dus à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes pour les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi et à compter du présent arrêt pour le surplus,

ORDONNE la remise par la société Edimark à Mme X d’une attestation destinée à France Travail, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans les deux mois suivant son prononcé,

ORDONNE le remboursement par la société Edimark aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à Mme X dans la limite de six mois d’indemnités,

1) EXPOSE DU LITIGE

Après une collaboration en tant que graphiste indépendante, Mme  X a été engagée par la société Edimark, éditrice de publications scientifiques, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 avril 2018, en qualité de dessinatrice d’exécution niveau X, 2ème échelon de la convention collective de la presse d’information spécialisée.

Ayant obtenu une revalorisation salariale en octobre 2018, elle a sollicité par courrier du

8 janvier 2019 la reconnaissance de sa qualification de rédacteur graphiste.

La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels lui a attribué le 25 mars 2019 sa première carte de journaliste professionnelle.

Mme X a saisi le 27 novembre 2019 le conseil de prud’hommes de Paris en sa formation de référé afin d’obtenir la communication de pièces de comparaison détenues par son employeur, en vain, l’ordonnance du 26 février 2020 ayant dit n’y avoir lieu à référé tant pour la demande principale que pour la demande reconventionnelle et laissé les dépens à la charge de la demanderesse.

 

Sur recours de la salariée, la cour d’appel de Paris, par arrêt du 14 janvier 2021, a accédé à sa demande de communication du livre d’entrées et de sorties du personnel pour les années 2017 à 2019, des contrats de travail et avenants ainsi que des bulletins de salaire des années 2017 à 2019 de huit salariés (MM. M., M., B., P. et Mmes D., B., A. et M.) ainsi que des bulletins de paie d’une de ses collègues, Mme Langlais, d’avril 2018 à décembre 2018, à condition d’être préalablement anonymisés.

Du 25 novembre 2019 au 9 avril 2020, le contrat de travail de Mme X a été suspendu pour cause de maladie.

Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, au fond, le 27 décembre 2019.

Elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 6 mars 2020.

 

Le conseil de prud’hommes de Paris, par jugement du 24 août 2023, a :

- dit être saisi de l’ensemble des chefs de demande constituant le litige,

- rejeté les pièces produites par Mme X numérotées 22, 57 et 65,

- dit sans objet la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme X,

- dit recevables les demandes formées au titre de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail,

- dit que Mme X a effectué des heures supplémentaires non rémunérées entre le

28 juin 2018 et le 22 novembre 2019,

- dit que la prise d’acte de la rupture constitue une démission,

- condamné la société Edimark à payer à Mme X les sommes suivantes :

- 2 224,43 euros au titre des heures supplémentaires,

- 222,44 euros au titre des congés payés afférents,

- 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

- dit que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter

de la réception par l’employeur de la convocation en bureau de conciliation,

- ordonné la délivrance du bulletin de paie rectificatif et d’une attestation Pôle Emploi

rectifiée,

- ordonné l’exécution provisoire,

- débouté Mme X du surplus de ses demandes,

- débouté la société Edimark de ses demandes,

- condamné la société Edimark aux dépens.

Mme X a interjeté appel du jugement le 2 octobre 2023.

2) MOTIFS DE L’ARRET

2.9) Sur la discrimination syndicale :

L’appelante considère présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale à son encontre, faisant valoir que depuis son embauche, elle tente de faire reconnaître son statut de journaliste, tentative s’inscrivant dans une démarche globale du respect par l’employeur des droits des journalistes, qu’elle a ainsi décidé - sa situation étant partagée par certains de ses collègues - de se présenter aux élections professionnelles et que suite à cette déclaration d’intention, une proposition de rupture conventionnelle lui a été faite par l’entreprise alors qu’aucune raison objective ne justifiait la rupture de la relation de travail. Elle sollicite 10 000 € en réparation du préjudice résultant de cette discrimination

 

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales, notamment.

 

Aux termes de l’article L.1134-1 du code du travail, “lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

 

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

 

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.”

 

Selon l’article L.2141-5 du code du travail alinéa 1, “ il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail”.

 

Au soutien de la discrimination qu’elle prétend avoir subie, Mme X verse aux débats plusieurs courriels de la déléguée syndicale, Mme Duverger, en date des 18 septembre 2019 à M. B. de l’UD 075, 31 octobre 2019 à M. P. de la DIRECCTE d’Ile-de-France et 20 novembre 2019 à Mme X et à deux membres de la DIRECCTE, les informant de la volonté de sa collègue de se présenter sur la liste SNJ afin de défendre les droits des journalistes, sur les pressions subies depuis par cette dernière, ainsi que des communications de la direction d’Edimark à la salariée au sujet des modalités d’une rupture conventionnelle qui lui a été proposée.

Les éléments de faits qu’elle présente, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination syndicale à l’encontre de l’appelante.

 

La société Edimark conteste toute discrimination syndicale et relève qu’elle n’a pas été informée de la volonté de Mme X de se présenter aux élections professionnelles avant la remise (le 21 novembre 2019) de l’ordre du jour de la réunion des délégués du personnel et que sa proposition de rupture conventionnelle a précédé de deux semaines sa connaissance de ce projet.

 

Il n’est pas justifié, avant l’ordre du jour de la réunion sollicité par les délégués du personnel et adressé le 20 novembre 2019 ( et non le 21) à la secrétaire générale et au chargé des ressources humaines de l’entreprise, de l’information de l’employeur sur la candidature de Mme X ; ce document questionne au sujet du protocole électoral et demande si “ce nouveau retard dans la mise en œuvre des négociations” “ ne serait pas lié aux ruptures conventionnelles proposées ces dernières semaines à deux salariées dont il a été question dans les OD de ces six derniers mois. Mme X, en particulier, qui a fait la preuve de son attachement aux droits des journalistes s’apprêtait à se déclarer candidate aux élections sur la liste SNJ quand une rupture conventionnelle lui a été proposée oralement”.

 

Toutefois, aucun élément n’est produit par l’employeur pour justifier la rupture conventionnelle proposée le 25 octobre 2019 et réitérée le 18 novembre suivant, après deux semaines de réflexion laissées à l’appelante à ce sujet, par la direction de la société Edimark.

 

A défaut d’une telle justification et eu égard à la proximité temporelle de la proposition avec les velléités électorales de l’appelante, la société intimée échoue à démontrer que son initiative est légitimée par des données objectives et étrangères à toute discrimination syndicale.

 

Il y a lieu d’accueillir la demande au titre de la réparation de cette discrimination syndicale à hauteur de 2 000 €, eu égard à sa durée et aux éléments de préjudice recueillis.

 

Le jugement de première instance doit donc être infirmé de ce chef.

 

2.10) Sur la prise d’acte de la rupture du contrat de travail :

 

Mme X a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 6 mars

2020, contenant les griefs suivants:

[...] “ je constate que les manquements graves dans l’exécution de mon contrat de travail par la société perdurent.

Ces manquements sont les suivants :

-La société refuse de me reconnaître la qualité de salariée pour la période de janvier à

mars 2018 [...]

-La société refuse de me reconnaître la qualification de Rédacteur Graphiste et partant

le bénéfice du statut de journaliste [...]

- Je suis en conséquence victime d’une inégalité de traitement puisque je perçois une rémunération inférieure à celle de collègues qui eux bénéficient de la qualification de Rédacteur Graphiste [...]

 

-Je suis aujourd’hui en arrêt maladie généré par une situation de harcèlement moral du fait d’un environnement de travail toxique délétère et des reproches injustifiés et dénigrants ;

 

- Enfin, j’ai fait l’objet d’une discrimination syndicale dès lors que vous avez appris mon intention de me présenter aux élections professionnelles dans l’entreprise et que je m’apprêtais à me déclarer candidate, vous m’avez immédiatement proposé une rupture de mon contrat de travail ;

 

Par ailleurs, alors que je suis employée pour une durée hebdomadaire de 35 heures, vous ne m’avez toujours pas payé les heures supplémentaires que j’ai effectuées.

 

Par ailleurs, j’ai constaté avec stupeur en février 2020 que vous avez publié une offre d’emploi en CDI correspondant à mon emploi alors que je suis en arrêt maladie.

 

De plus, j’ai appris que pendant mon absence j’étais remplacée à mon poste par une salariée en CDD sous la qualification de Rédacteur Graphiste.

 

Enfin, vous m’avez informé le 2 mars 2020 que la prévoyance suspendait l’indemnisation de mon arrêt maladie. Vous avez alors prétendu que cela aurait été au motif que je ne leur aurais pas envoyé mon certificat médical, ce qui était parfaitement faux puisque je l’ai envoyé par lettre recommandée du 6 janvier 2020.

 

Aussi, la suspension de mon indemnisation par la prévoyance ne peut résulter que de vos propres manquements.

 

Dans ces conditions, je vous informe que je n’ai pas d’autre choix que de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail en raison des fautes graves que vous avez commises dans l’exécution de mon contrat de travail.”

 

La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

En cas de prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

Mme X, d’après les développements qui précèdent relatifs aux manquements invoqués, a subi le non-paiement d’heures supplémentaires, des congés payés y afférents ainsi qu’une discrimination syndicale, faits suffisamment graves pour justifier que la prise d’acte de la rupture ait les effets d’un licenciement nul.

 

Tenant compte de l’âge de la salariée (née en 1974) au moment de la rupture, de son ancienneté ( remontant au 3 avril 2018), de son salaire moyen mensuel brut (soit 2 600 €), de l’absence de justification de sa situation professionnelle après la prise d’acte, il y a lieu de lui allouer 16 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, ainsi que 5 200 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 520 € au titre des congés payés afférents et 3 900 € à titre d’indemnité de licenciement, conformément aux montants réclamés subsidiairement et non strictement contestés.

 

2.11) Sur les intérêts :

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil et R.1452- 5 du code du travail, les intérêts au taux légal courent sur les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappels de salaire, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes, et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

 

2.12) Sur la remise de documents :

La remise d’une attestation destinée à France Travail, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s’impose sans qu’il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de la société Edimark n’étant versé au débat.

 

2.13) Sur le remboursement des indemnités de chômage :

 

Les dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d'espèce, le licenciement de Mme X étant nul, d'ordonner le remboursement par la société Edimark des indemnités chômage perçues par l’intéressée, dans la limite de six mois d'indemnités.

 

Pour lire l’intégralité de la brève, cliquez sur le lien ci-dessous

https://www.legavox.fr/blog/frederic-chhum-avocats/discrimination-syndicale-condamnation-edimark-pour-37438.htm

 

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

e-mail: chhum@chhum-avocats.com

www.chhum-avocats.fr

https://www.instagram.com/fredericchhum/?hl=fr

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