Prud’hommes - BFM TV condamnée pour licenciement sans cause et harcèlement moral d’un salarié (CA Paris 6 mars 2024)

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Le salarié obtient une condamnation de BFM TV / Nextprod pour harcèlement moral, violation de l’obligation de sécurité et licenciement sans cause.

Il obtient au total 33 000 euros.

2) MOTIFS de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 mars 2024

2.2) Sur la demande au titre de l’obligation de sécurité

• Prévention du harcèlement moral

L’obligation de sécurité de l’employeur implique l’obligation de prévenir les faits de harcèlement moral. En l’espèce, ainsi qu’il a été indiqué, il n’a pas été donné suite au premier mail de monsieur X, par lequel, après un malaise sur son lieu de travail, il dénonçait le comportement de monsieur Z. Ce n’est qu’après un second arrêt de travail que la hiérarchie est intervenue, sans pour autant apporter une solution pérenne, et sans permettre à monsieur X de ne plus travailler avec le supérieur qui était à l’origine de sa souffrance au travail.

Ce manquement justifie qu’il soit fait droit à la demande de dommages et intérêts pour manquements à l’obligation de sécurité à hauteur de 5.000 euros.

• Accident du travail

Monsieur X fait état d’un accident du travail en septembre 2018, au cours duquel il a reçu un poids sur le pied, sans que cela ait entraîné d’arrêt de travail.

Les éléments qu’il produit ne permettent pas d’établir l’existence d’une faute de l’employeur à l’origine de cet accident.

Il fait également valoir que le fauteuil ergonomique mis à sa disposition n’était pas adapté à sa grande taille.

Toutefois, il produit des photographies qui ne permettent pas à la cour de déterminer si le matériel fourni était ou non adapté, et il n’a jamais saisi le médecin du travail d’une quelconque difficulté à cet égard, de sorte que la cour ne retient pas de manquement de l’employeur à cet égard.

2.3) Sur la demande de nullité du licenciement

La cour observe que monsieur X ne demande pas la nullité de son licenciement en raison du harcèlement moral dont il a été victime.

Il ne fonde sa demande de nullité que sur le fait qu’il estime avoir été discriminé en raison de son état de santé.

Par application de l’article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être sanctionnée, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en raison de son de son état de santé ou de son handicap.

L’article L.1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, monsieur X rappelle les différents arrêts de travail dont il a fait l’objet, en raison d’une part de troubles anxio-dépressifs, et d’autre part de douleurs invalidantes aux lombaires et aux membres inférieurs ayant nécessité hospitalisation et programme de reconditionnement à l’effort.

Il fait valoir que l’employeur ne pouvait ignorer cette situation, et que c’est la raison pour laquelle il a été licencié, et il verse aux débats l’attestation de monsieur W, déjà évoquée, qui relate que monsieur Z avait dit que les problèmes de santé de monsieur X posaient des problèmes dans l’entreprise.

Il produit également un extrait d’un procès-verbal de L’IUP des 19 et 20 décembre 2018, relatif au reclassement d’un autre salarié, où il est relaté : “Un élu IUP remarque que la direction affirme régulièrement son souhait d’intégrer de plus en plus de salariés en situation de handicap. Toutefois dès qu’un salarié présente le moindre signe de faiblesse, il prend la porte”.

La cour observe que l’attestation de monsieur W, déjà évoquée, doit être regardée avec prudence, et que la remarque relevée dans un procès-verbal de 57 pages n’exprime que l’opinion d’un élu sur une situation tout à fait différente de celle de monsieur X puisqu’il s’agissait de donner un avis sur un reclassement.

Par ailleurs, à la date où le licenciement a été engagé, le mi-temps thérapeutique dont monsieur X avait bénéficié avait pris fin depuis un an et demi. L’attestation de son médecin ne fait état d’aucune nouvelle consultation entre le 14 septembre 2018, soit un an avant le licenciement, et l’engagement de la procédure, et le relevé de ses indemnités journalière qu’il produit démontre que son dernier arrêt de travail remonte au 10 août 2018, soit là encore une année avant l’engagement de la procédure de licenciement.

Au regard de cette chronologie, les éléments qu’il produit ne permettent pas de supposer que son licenciement soit en lien avec son état de santé, de sorte qu’il ne sera pas fait droit à la demande de nullité formée sur le fondement de la discrimination.

2.4) Sur le caractère fondé du licenciement

Aux termes des dispositions de l'article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; en vertu des dispositions de l'article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par application des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre, précisée le cas échéant dans les conditions prévues par les articles L1235-2 et R1232-13 du même code, fixe les limites du litige.

En l’espèce, la lettre de licenciement étant motivée dans les termes suivants :

“En dépit de rappels à l’ordre et de l’attention de l’encadrement pour vous accompagner dans la réalisation de vos missions, vous ne parvenez toujours pas à exercer vos fonctions de façon satisfaisante.

Ainsi, le 13 juin 2019 à 11h30, il est apparu que les deux logos de BFMTV, le “ classique

“ d’une part, et le “ cube plat “ utilisé pour les soirées spéciales et les documentaires d’autre part, se sont superposés durant 20 secondes.

Lorsque Monsieur B est par la suite descendu pour vous demander quelles étaient les raisons de cet incident, vous avez soutenu que vous aviez procédé à toutes les actions dans le bon ordre pour passer d’un logo à l’autre mais que vous aviez eu des “ freezes” sur Viz. Considérant les informations que vous aviez alors portées à la connaissance de votre management, le service ingénierie a été sollicité afin de corriger les dysfonctionnements de la plate-forme technique que vous prétendiez avoir constatés. Or, à l’issue de leurs analyses, il a été établi que la plate-forme était parfaitement fonctionnelle au moment des faits et que cet incident était uniquement dû à une erreur de manipulation de votre part, comme l’ont démontré les logs de Viz ticker enregistrés sur votre vacation.

Ces derniers ont mis en lumière le fait que vous aviez activé le « cube plat » avant d’avoir désactiver le logo “ classique “. Il est donc normal que les deux se soient superposés.

Au-delà de votre erreur de manipulation, le fait que vous ayez tenté de la masquer en invoquant des problèmes techniques, ce qui a déclenché une enquête in fine inutile du service ingénierie, est inacceptable.

Dernièrement, le 24 juillet 2019, lors du changement de tranche entre BFM Story et BFM

Soir, à 19h00, nous avons eu à déplorer un impact antenne grave sur BFMTV. Après enquête, il est apparu que vous aviez non seulement commis, à nouveau, une erreur de manipulation, en déchargeant cette fois le conducteur en cours de lecture (au lieu de charger le suivant), mais vous aviez de surcroît, par la suite, pris une série de mauvaises décisions qui ont conduit à une antenne chaotique pendant près de 3 minutes.

Durant ce laps de temps nous avons pu comptabiliser 62 secondes d’images figées ou de noir antenne. Vos erreurs à répétition et votre incapacité à maîtriser totalement les aspects techniques de votre poste nous apparaissent d’autant plus graves qu’elles impactent directement la qualité de l’antenne de BFMTV.

Votre incapacité objective à exécuter de façon satisfaisante vos fonctions traduit une insuffisance professionnelle particulièrement préjudiciable au bon fonctionnement de votre service qui n’est plus, de fait, en mesure d’assurer correctement la diffusion de l’antenne.

Nous considérons que ces faits constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement”.

L'appréciation des aptitudes professionnelles du salarié et de son adaptation à l'emploi relève du pouvoir patronal. Néanmoins, l'insuffisance professionnelle alléguée à son encontre pour fonder un licenciement doit être justifiée par des éléments précis et concrets de nature à perturber la bonne marche de l'entreprise ou le fonctionnement du service.

Pour constituer une cause légitime de rupture, l'insuffisance professionnelle doit être établie par des éléments objectifs, constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, être directement imputable au salarié et non la conséquence d'une conjoncture économique difficile ou du propre comportement de l'employeur.

En l’espèce, il convient en premier lieu d’observer que l’employeur fait état dans ses conclusions d’éléments qui ne sont en aucun cas visés par la lettre de licenciement, relatifs notamment à l’envoi tardifs de rapports. Il fait par ailleurs état d’une mise en garde au mois d’août 2015 et d’un avertissement de novembre 2015, soit très peu de temps après l’embauche de monsieur X, et quatre année avant le licenciement.

Par ailleurs, l’employeur fait état des évaluations de monsieur X depuis son embauche.

Si elles lui rappellent qu’il doit veiller à ne pas être distrait, elles sont pour autant globalement positive, et ne pouvaient en aucun cas permettre d’anticiper un licenciement pour insuffisance professionnelle, la grande majorité des items renseignés étant “acquis”.

En ce qui concerne les deux incidents relatés dans la lettre de licenciement, la cour observe qu’ils ne sont pas présentés comme fautifs, mais comme caractérisant une insuffisance professionnelle. Ils se sont déroulés à un mois d’intervalle.

Le premier consiste en la superposition de deux logos durant 6 secondes, et non 20 comme mentionné dans la lettre de licenciement. Il s’agit manifestement d’un événement mineur, sans conséquence majeure pour l’entreprise.

Le second incident a duré plus d’une minute, et l’écran est resté bleu durant 47 secondes, à la suite d’erreurs de monsieur X qu’il n’a pas contestées.

Il a lui-même écrit le lendemain un mail pour expliquer ce qui s’était passé, ce qu’il aurait dû faire, et conclure “J’aurais dû effecteur les bonnes actions auxquelles j’ai pensé juste après, mais cette fois ci, j’ai un peu stressé étant pour la première fois en régie 1 et n’ayant donc plus les automatismes précédents. Cet écart me servira pour les futures prises d’antenne”.

Ainsi, si les erreurs sont établies, il n’est pas contesté par l’employeur qu’elles se sont produites alors qu’il se trouvait dans une situation inhabituelle pour lui, à la suite d’un changement de régie. L’employeur ne conteste pas non plus qu’il en était à sa 11ème heure de travail lorsque l’incident a eu lieu.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il n’apparaît pas que l’insuffisance professionnelle alléguée soit suffisamment établie, et il subsiste à tout le moins un doute qui doit profiter au salarié, de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Monsieur X avait cinq années d’ancienneté à la date de son licenciement, de sorte que par application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, il peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant se situe entre trois et six mois de salaire.

Il justifie ne pas avoir retrouvé de contrat à durée indéterminée, mais travailler régulièrement dans le cadre de contrats à durée déterminée d’usage. Il ne donne aucun élément sur ses revenus depuis son licenciement.

Compte tenu de ces éléments, il lui sera alloué une somme de 15.000 euros sur le fondement des dispositions précitées.

Pour lire l’intégralité de la brève, cliquez sur le lien ci-dessous.

https://www.legavox.fr/blog/frederic-chhum-avocats/condamnee-pour-harcelement-moral-licenciement-35309.htm

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

e-mail: chhum@chhum-avocats.com

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